WeCo : des toilettes publiques qui recyclent leurs eaux usées
L’entreprise française WeCo est à l’origine d’un concept de toilette publique en circuit fermé qui permet d’économiser 97 % d’eau grâce à un traitement bactériologique et électrochimique des eaux usées. Elle travaille désormais à rendre sa technologie 100 % autonome et à la développer pour un usage domestique, de façon à pallier aux enjeux mondiaux de l’eau.
Lorsque Cécile Dekeuwer lance le projet WeCo en 2014, l’ambition est certaine : créer des toilettes écologiques, innovantes et design. Nouvelle venue dans le domaine de l’entrepreneuriat et de l’industrie du sanitaire, l’ancienne avocate s’entoure alors d’investisseurs et d’experts et développe une première technologie en partenariat avec le California Institute of Technology (CalTech). Aujourd’hui, l’entreprise WeCo est une deeptech* qui produit sa propre technologie afin de faire fonctionner les toilettes en circuit fermé : son système breveté permet de recycler sur place les eaux usées grâce à un traitement bactériologique et électrochimique. Ce procédé permettrait “d’économiser près de 97 % d’eau par rapport à des toilettes raccordées”, avance la fondatrice et dirigeante de WeCo. Une aubaine lorsqu’on sait qu’en France ce sont plus de 3 000 litres d’eau qui sont utilisés chaque seconde dans les WC. Qui plus est de l’eau potable !
Une eau traitée et clarifiée en deux heures
Soucieuse que “l’usage de ces toilettes soit le moins perturbé possible, comparativement à des toilettes normales”, Cécile Dekeuwer et ses équipes se sont attachées à penser une solution semblable à celle que nous utilisons quotidiennement. Ainsi, les toilettes publiques Water Recycling Eco Toilets ne présentent pas “de séparation au niveau de la cuvette comme ça peut se voir dans les toilettes sèches à séparation qui ont vocation à réutiliser les urines pour faire du fertilisant”, nuance-t-elle, puisque la magie opère à l’arrière de la cuvette.
Une fois la chasse tirée, le contenu de la cuvette est broyé, grâce au sanibroyeur intégré, et envoyé dans la cuve-hors sol pour un premier traitement biologique. Le design de la cuve, et les bactéries développées spécifiquement pour la solution WeCo, permettent une décantation et un pré-traitement. “Les surnageants, les liquides qui se trouvent en haut dans la cuve, subissent ensuite un traitement électrochimique, explique Cécile Dekeuwer. Dans le réacteur d’électrolyse, une combinaison d’électricité, d’eau et de sel produit du chlore de façon à traiter et clarifier l’eau en deux heures. Cette eau traitée est ensuite transférée dans une réserve d’eau propre, qui sera réutilisable pour les chasses suivantes.”
Parallèlement, une sédimentation s’effectue au fond de la cuve : les matières fécales et le papier sont digérés et s’y déposent. C’est pourquoi “il ne faut pas jeter n’importe quoi dans les toilettes, au risque d’abîmer le travail biologique”, avertit la fondatrice de WeCo. La vidange de la cuve d’eau usée est ensuite régulièrement assurée, selon sa taille et la fréquentation des toilettes.
Sa technologie a valu à WeCo de nombreuses reconnaissances internationales de l’innovation, telles que le prix de la Fondation Gates, le Sceau d’Excellence de la Commission Européenne, le prix de l’innovation de WaterEurope, le prix de l’European innovation Center Climate KIC, le Projet d’Investissement d’Avenir (PIA) du Secrétariat Général à l’Investissement français opéré par l’ADEME, le Fasep Innovation verte ou plus récemment le prix de l’Innovation des Trophées CCIFS du Commerce France Suisse.
Développer un modèle 100% autonome
Outre l’innovation écologique et économique – cette solution autonome ne nécessite aucun raccordement au réseau d’eau existant et évite de tirer un nouveau réseau d’eau –, la solution WeCo apporte une réponse aux enjeux sociétaux internationaux, et notamment l’accès à l’eau potable. Car si l’accès à l’eau courante et potable est devenu la norme dans les pays développés, bien que celle-ci commence à manquer, l’UNESCO estime que près de la moitié de la population mondiale ne jouit pas encore de ce luxe. À ce jour, 3,6 milliards de personnes ne disposent toujours pas d’un accès à des installations sanitaires gérées en toute sécurité, tandis que près d’un milliard d’entre elles serait obligé de se soulager en plein air.
Cette réalité est d’autant plus marquée en Afrique, où l’eau manque cruellement et depuis longtemps. “Il faut être en capacité de fournir des toilettes dignes de ce nom dans les villes et les zones rurales, notamment pour les femmes et les enfants”, soutient Cécile Dekeuwer. Elle poursuit : “D’une part, car il y a encore des milliers d’enfants qui meurent de l’ingestion d’eau contaminée (près de 800 chaque jour selon l’ONU, NDLR). D’autre part, car la lourde responsabilité du ravitaillement en eau et de son assainissement repose encore sur les épaules des femmes.”
C’est pourquoi WeCo a pour projet d’installer une toilette au Sénégal, à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. Ce prototype va encore plus loin puisqu’il sera alimenté en électricité par des panneaux solaires pour, qu’à terme, soit développé un modèle 100 % autonome et africain : “Pour le moment fabriqué en France puis envoyé au Sénégal, et entretenu par une entreprise locale d’assainissement, le modèle est amené à être simplifié au maximum pour qu’il soit le moins coûteux possible, qu’il se fabrique le plus possible manuellement avec des partenaires locaux et qu’il puisse répondre à une grande demande dans les lieux publics avant d’être développé pour le marché domestique, autant en ville que dans les zones rurales”, insiste Cécile Dekeuwer.
Adapter la technologie aux industries
“Les premiers clients auxquels j’ai pensé lors de la création de la société étaient les villes, se souvient sa fondatrice, et d’ailleurs, le premier système a été vendu à la ville de Saint-Étienne en 2017“. Puis, ça a été au tour de Grigny, Rennes, et Blois de s’équiper avec la solution WeCo.
En 2018, l’entreprise s’est ouverte au secteur privé, particulièrement intéressé par cette technologie : “Il y a des entreprises qui ont besoin de notre technologie pour leurs entrepôts ou leurs usines car il y a un problème de raccordement à l’eau courante ; d’autres veulent une solution plus écologique. Puis, il y a les entreprises qui vendent ou louent des toilettes comme Francioli, qui nous permettent de nous adresser de manière indirecte aux collectivités. Enfin, mentionnons les entreprises pour lesquelles nous développons spécifiquement la technologie comme le transport ferroviaire, maritime (les bateaux de croisière doivent s’arrêter tous les trois jours pour vidanger les eaux usées et recharger en eau propre, NDLR), aérien ou spatial, mais aussi pour les chantiers.” C’est dans ce dernier cas que WeCo a engagé un partenariat avec Alstom, en 2018, afin d’adapter sa technologie aux besoins des rames de trains du constructeur français.
Alors que la technologie WeCo est encore au stade du prototype, l’entreprise souhaite passer à l’étape supérieure. C’est dans ce sens qu’elle a engagé une levée de fonds de 4 millions d’euros, afin de certifier et homologuer ses technologies pour ensuite engager l’industrialisation d’une présérie. “Nous espérons industrialiser notre solution à court terme grâce à la terminaison de notre diagnostique industriel, explicite Cécile Dekeuwer. Cette démarche nous permet d’analyser le stade auquel se trouve nos technologies, afin de déterminer un plan d’action et des choix industriels. Ensuite, il s’agira de développer des prototypes industriels et une présérie”, afin de démocratiser la solution.
Pour le moment, le plus petit modèle de la technologie WeCo est chiffré à 20 000 euros. Il présente une autonomie de trois à six mois, selon la taille de la cuve choisie (entre 500 et 2 000 litres), le choix se faisant en fonction de l’usage et de la fréquentation des toilettes. Cécile Dekeuwer précise tout de même : “Il est intéressant de privilégier une cuve la plus grande possible, pour laquelle les vidanges sont le plus possible espacées dans le temps, car le temps et les températures chaudes sont les meilleurs alliés du traitement biologique et bactériologique.”
*Selon BPI France, une deeptech est une startup qui “propose des produits ou des services sur la base d’innovations de rupture afin de s’attaquer à la résolution des grands défis du XXIe siècle : une nouvelle technique pour lutter contre le cancer ou contre le changement climatique, par exemple.” WeCo une deeptech dans le sens où elle développe une technologie qui fait appel à de la chimie, de la biologie, de l’électrochimie, de la biochimie, de la mécanique et de l’hydraulique. Pour chaque technologie, WeCo s’appuie sur l’expertise d’entreprises françaises et européennes spécialisées dans chacun des domaines.