Système de toilette séparative © Laufen
Des toilettes séparatives au cœur d’un projet de transformation des urines en engrais
Dans une logique d’économie circulaire, l’éco-quartier Saint-Vincent-de-Paul (Paris 14e) mise sur l’installation de toilettes séparatives dans ses logements et équipements publics pour produire de l’engrais naturel. Une première en France.
Le futur éco-quartier Saint-Vincent-de-Paul (Paris 14e) comptera 600 logements, qui abriteront 1 200 personnes, une école, une crèche, un gymnase, une fondation d’art contemporain et des locaux d’activité. Un éco-quartier qui devrait sortir de terre à l’horizon 2026, et dont la conception illustre la nécessaire transformation de la ville et de la prise en considération des enjeux d’économie des ressources et réduction des déchets.
Le projet a été pensé afin de réemployer un maximum de matériaux et de terres dans le périmètre de l’opération, en triant et en transformant les terres excavées, et en conservant 60 % des bâtiments (en surface) des 30 000 m2 du terrain alloué au projet. Les autres bâtiments seront déconstruits de manière à permettre le réemploi des matières sur place ou ailleurs. Cependant, le futur éco-quartier le plus vaste de France place le curseur de la gestion des ressources encore plus haut et intègre un enjeu encore émergent de la réduction des déchets : la collecte séparative des urines humaines.
Un laboratoire à l’échelle urbaine
Riches en azote et en phosphore, les urines humaines engendrent une pollution organique préoccupante, notamment responsable de la prolifération d’algues et de la mortalité des poissons. La concentration des deux composants chimiques cités précédemment, qui sont aujourd’hui déversés dans les eaux usées, présente ainsi un défi de traitement pour les usines d’épuration puisqu’il demande des installations spécifiques et coûteuses. Sans compter que la croissance démographique attendue du Grand Paris, dont il est estimé qu’il accueillera un million d’habitants supplémentaires d’ici 2030, va encore augmenter les volumes d’effluents à épurer, tandis que le débit de la Seine et de ses affluents sera réduit du fait du réchauffement climatique.
Si des expériences à l’échelle de bâtiments ont pu se révéler concluantes, le projet de l’éco-quartier Saint-Vincent-de-Paul se présente donc en laboratoire inédit à l’échelle urbaine, où la collecte des urines se fera en quatre temps :
- Les sanitaires de l’éco-quartier seront ainsi équipés de toilettes à séparation, qui collectent les urines d’un côté et les matières fécales de l’autre,
- Dans chaque immeuble, les urines seront évacuées sans apport d’eau via une canalisation dédiée,
- Les urines seront ensuite stockées dans une cuve, située dans l’éco-quartier.
Les toilettes séparatives au cœur du processus
La collecte séparative s’effectuera dans les 600 logements et les équipements publics (gymnase et groupe scolaire) de Saint-Vincent-de-Paul. À cette fin, ils seront équipés de “WC séparatifs tels que les modèles Save de Laufen ou EcoFlush de Wostman, détaille Julie Ginesty. Pour l’équipement public, des urinoirs de type Me by Starck de Duravit ou équivalent sont également envisagés.” La responsable ville durable de Paris & Métropole Agencement (P&Ma), aménageur du projet, précise tout de même qu’il existe “d’autres modèles de WC et d’urinoirs séparatifs, et qu’en qualité d’aménageur nous n’obligeons pas à recourir à un modèle spécifique. Les produits évoqués ont été retenus car ils répondent à priori aux besoins de la collecte séparative.”
Le design de ces toilettes assure une séparation passive et optimale des urines grâce à la présence d’un compartiment spécifique dans la céramique, à condition que leur utilisation se fasse dans la position assise. Ce compartiment est relié à un réseau “gravitaire spécifique, présentant des prescriptions techniques propres au transport de l’urine, précise Julie Ginesty. L’urine sera ainsi acheminée jusqu’à “un réseau public municipal de transport, dont les canalisations ont été posées en 2022, qui transportera l’urine collectée jusqu’à une petite station de traitement localisée dans le quartier, dans un local installé dans un bâtiment appelé Chaufferie.”
Des toilettes spécifiques impliquent un entretien spécifique. Il faudra donc éviter d’utiliser tout produit contenant de la javel ou du bicarbonate de soude, au profit “de produits utilisés habituellement par les usagers disposant de fosses septiques. Qui plus est, pour éviter les risques d’encrassement des syphons et réseaux, il sera notamment demandé aux usagers de verser régulièrement de l’acide citrique et/ou du vinaigre blanc dans leurs toilettes.”
L’entretien du réseau public sera assuré par la mise en place “de chasses en eau non potable, comme des points d’injection d’acide citrique, permettant de nettoyer le réseau et d’en assurer le détartrage préventif.”
Produire un engrais liquide valorisable
La collecte séparative des urines est la première étape d’un processus de production d’engrais naturel, aussi appelé aurin (engrais à base d’urine), permettant de réduire la production d’engrais azotés de synthèse, très coûteuse en énergie. Une fois l’urine stockée, elle est transformée dans un micro-usine également située dans l’éco-quartier.
Les urines sont d’abord transformées en nitrates, grâce à la filtration au charbon actif qui permet de détruire toute trace de médicaments. Elles sont ensuite pasteurisées, distillées et mises en bouteille : 14 litres d’urine permettraient de produire 1 litre d’engrais liquide valorisable en jardinerie ou en agriculture ; or les 1 200 habitants de Saint-Vincent-de-Paul pourraient engendrer jusqu’à 300 000 litres d’urine par an !